Les lectures de l'oncle Paul
Paul Maugendre
28 janvier 2018
Bonjour madame, c’est pour une greffe
Je viens acheter un cœur,
Pas trop neuf, pas trop vieux
Un peu sucré, un peu salé,
Exinstas
Néphrologue à l’hôpital Tenon, à Paris, Séverine Dombre possède un foie, deux reins et un cœur comme tout le monde. Mais son cœur, contrairement à ses autres organes, est en capilotade.
Son parcours affectif et amoureux est semé d’obstacles. Elle a perdu son père dans un accident de la circulation, alors qu’elle n’avait que deux ans. Peut-être est-ce pour cela qu’elle prend souvent des amants plus vieux qu’elle. Des amants jetables comme les rasoirs ou les papiers mouchoirs. Ils ne restent pas longtemps dans son lit, et elle en change plus souvent que de slip.
Toutefois depuis quelques mois elle sort épisodiquement avec Hubert, un sexagénaire président d’un groupe spécialisé en logiciels d’analyse et de simulation. Elle a un gamin de quinze ans, Vincent, qu’elle a eu presque par hasard, dont la garde a été confiée à son père. Mais son adolescent, elle ne le voit qu’une fois pas mois, et encore. Ils ne communiquent guère.
Cela aurait pu durer encore longtemps si des clients spéciaux ne s’étaient un jour invités dans son service afin d’obtenir une consultation.
Un vieil homme du nom de Dibra, un Albanais qui ne parle pas le français, est accompagné de deux colosses qu’immédiatement Séverine Dombre surnomme en elle-même Dark Ice et Blue Ice à cause de la couleur de leurs yeux, de leur air froid et impénétrable. Dibra veut absolument se faire greffer un rein, mais la néphrologue a beau arguer que cela ne se passe pas comme ça, d’un coup de baguette magique, rien n’y fait il n’en démord pas. Enfin, c’est l’un des deux gardes du corps qui sert d’interprète, et Séverine explique qu’il faut appliquer un protocole, que les listes d’attentes sont à respecter, qu’il faut un donneur, que des examens sont à réaliser, et que bien d’autres précautions sont à prendre, rien n’y fait. Une grosse somme d’argent lui est même proposée, mais elle ne mange pas de ce pain là.
Pourtant elle pressent des fuites dans son service et ses deux responsables ont touché sans vergogne des enveloppes destinées soi-disant à des œuvres caritatives. Un policier d’un commissariat de quartier la contacte, l’informant que des tentatives de retraits ont été signalées et elle se rend compte qu’elle s’est fait voler sa carte bancaire. Puis un homme arrive à point nommé dans son service pour faire office de donneur. Il a été abattu d’une balle de 22 long rifle dans la tête, une arme peu usitée chez des truands. Puis un technicien du laboratoire d’histocompatibilité de Saint-Louis, un collègue qu’elle est allé voir afin de déterminer la compatibilité entre donneur et receveur, se fait abattre en pleine rue par deux motards.
Et comme sil elle n’avait pas compris qu’il lui faut absolument procéder à cette greffe de rein, des menaces pèsent sur son fils Vincent. Elles pèsent même si fort qu’il est enlevé.
En compagnie de Quentin, le jeune policier qui l’avait contactée à propos de sa carte et qu’elle trouve à son goût, penchant partagé par le jeune homme, Séverine va tout faire, enfin ce qu’elle peut, pour retrouver son fils tout en essayant de découvrir d’où peuvent provenir les fuites. Elle soupçonne certain(e)s de ses collègues, tenter de démêler cet imbroglio, tandis que des membres de la Criminelle, dirigée par la commandant Claude Chaudron et qui enquêtent sur l’agression mortelle du technicien, vont croiser son chemin, un peu grâce à Quentin.
Si l’on retrouve avec plaisir l’équipe de Claude Chaudron, c’est indéniablement la figure de Séverine Dombre, et par ricochet celle de son fils Vincent, qui prédomine.
Séverine est une femme forte, dans son domaine médical et elle ne se laisse pas monter sur les pieds, que ce soit de la part de ses collègues ou de sa hiérarchie. Mais dans le privé, elle est déboussolée. Sa vie affective est gravement atteinte et il lui faudrait une greffe de cœur, car tel le papillon elle butine à gauche et à droite. Ses relations avec son fils sont épisodiques, voire absentes, et elle ne l’accueille chez elle qu’avec une certaine réticence.
Pourtant cet épisode, l’enlèvement de Vincent, va déclencher en elle comme une forme de rédemption, une révélation, et alors qu’il disparait, il va lui manquer dans sa chair et son cerveau. Et par voie de conséquence, cela rejaillit aussi sur Vincent qui se met à apprécier cette femme qui se déclare sa mère mais ne s’en est jamais occupé.
L’enquête prend un tournant lorsqu’elle se rend en compagnie de Vincent en Normandie, non loin de Bayeux, dans le village natal de son père et grand-père. Et elle découvre tout un pan de l’histoire de sa famille qu’elle ignorait, et qui remonte lors du Débarquement des Alliés. Un secret familial et un épisode meurtrier dont les habitants de Delaiseville, ce petit village du bocage bajocasse, gardent encore en mémoire, comme une déchirure.
Le docteur Olivier Kourilsky étant néphrologue connait fort bien le milieu qu’il décrit, mais ce n’est pas pour autant que les scènes d’interventions hospitalières encombrent le récit. Elles se greffent avec justesse et le lecteur ne se sent pas perdu dans les techniques chirurgicales et travaux pratiques élémentaires de préparation.
Si la couverture rend bien cette double atmosphère d’hôpital et de truands, le titre en lui-même est particulièrement bien trouvé. Un jeu de mot qui pourrait prêter à sourire lorsque l’on ne connait pas le contexte de l‘intrigue, mais qui est en réduction la trame du roman.
Ce roman est suivi de Mon meilleur ami, une nouvelle publiée dans le quatrième recueil des Pontons flingueurs mais qui a été remaniée pour l’occasion.