Revoilà déjà le temps d’élire le chouchou du mois. Et c’est un choix bien difficile pour ce mois-ci, tant les lectures proposées en ce mois glacial de février furent de vrais morceaux de pur plaisir. C’est aussi un mois 100% français (ce qui est un hasard) qui montre que cette année, les éditeurs ont démarré l’année le pied au plancher pour nous proposer d’excellents polars issus du cru.
La seule exception parmi ces romans hexagonaux aura été un roman noir pour ma rubrique Oldies : Rue barbare de David Goodis (Rivages). C’est une redécouverte pour moi, trente ans plus tard. Je n’étais pas fan avant, j’ai été impressionné par l’ambiance noire et déprimée de Ruxton Street et de cet homme qui veut sauver les autres à défaut de se sauver lui-même. Un classique du Noir à ne pas rater.
La seule découverte de ce mois-ci sera à mettre à l’honneur de Les écorchés vifs d'Olivier Vanderbecq (Fleur Sauvage). Premier roman plein de passion, de fureur et de sang, ce pur roman d’action est bourré de qualités et d’ambition. Olivier Vanderbecq se dévoile dans le genre roman d’action, et ses Écorchés vifs sont un hommage aux incontournables du genre. Personnellement, je le range juste à côté des romans de JOB qui signe la préface de ce roman.
Après avoir lu Toxique, je savais que j’allais rapidement lire la suite : Fantazmë de Niko Tackian (Calmann Levy). Si le roman est plus centré sur le personnage de Tomar Kahn, il s’avère un bel hommage envers le cinéma populaire des années 80 et en particulier de Dirty Harry. Cette deuxième enquête confirme que cette série est à suivre de près.
Les trois romans suivants sont écrits par des auteurs que je suis et pour lesquels j’avoue avoir beaucoup de sympathie, d’amour, littérairement parlant, bien sûr. Marche ou greffe ! d'Olivier Kourilsky (Glyphe éditions) est un polar dont la forme est originale et passionnant dans le fond. C’est aussi la construction et la psychologie du personnage principal qui le rend passionnant et impossible à lâcher dès qu’on a lu la première page. Une grande réussite.
Malgré le fait que Dominique Sylvain soit une auteure connue et reconnue, Les infidèles de Dominique Sylvain (Viviane Hamy) a réussi une nouvelle fois à me surprendre. Avec une galerie de personnages hauts en couleurs, Dominique nous met mal à l’aise et nous plonge dans un milieu de menteurs professionnels. Super, vraiment super !
Et puis, je ne pouvais pas ne pas parler du dernier roman en date de Jean-Bernard Pouy. Moi qui ai lu tous ses premiers romans (des années 80 et 90), j’ai adoré retrouver ce style si particulier tout en dérision et jeux de mots. Plongeant dans une actualité brûlante, il nous présente un personnage plongé dans une machination qui fait de ce roman un très bon polar. Ma ZAD de Jean Bernard Pouy (Gallimard-Série Noire) est un roman à lire, bien sur !
Le titre (honorifique) de chouchou du mois revient donc à Xangô de Gildas Girodeau (Au-delà du raisonnable) car après Antonia, ce roman propose à nouveau un formidable portrait de femme, en jouant sur tous les genres et tous les codes pour nous proposer une enquête remarquablement écrite. Gildas Girodeau est décidément un auteur à ne pas rater et les éditions Au-delà du raisonnable une petite maison qui sait découvrir et mettre en avant de nouveaux talents.
J’espère que ce bilan vous aura aidé dans vos choix de lecture. Je vous donne rendez vous le mois prochain pour un nouveau titre de chouchou. En attendant, n’oubliez pas le principal, lisez !
On ne compte plus les réussites d'Olivier Kourilsky dans les polars à prédominance médicale et cette dernière production ne démentira pas un ensemble désormais fort conséquent ! Séverine Dombre qui est devenue à force de ténacité une spécialiste éminente de la néphrologie ( dialyse, greffe rénale) reçoit un jour dans son bureau de l'hôpital trois personnes pour le moins douteuses, manifestement un chef de bande albanais et ses deux gardes du corps qui lui recommandent fermement de passer outre toutes les phases légales d'une greffe , moyennant paiement d'une coquette somme et menace sur sa famille ( elle est divorcée avec un ado de 15 ans dont elle s'occupe trop peu , accaparée par son métier/passion!). Elle va dès lors vivre dans une angoisse permanente, trouver l'occasion de se rapprocher de son fils à l'occasion d'un retour opportun vers leurs origines normandes, obscurcies par un drame historique et des non-dits! Une très belle écriture, un rythme fou, une entrée dans un monde médical trop souvent abscons, l'évocation du thème du trafic d'organes trop peu souvent abordé, le blanchiment d'argent, la porosité entre certaines mafias et un monde médical ouaté, tout dans cet opus est concentré pour complaire au lecteur à la fois avide de connaissances et désireux de découvrir certains dessous parfois pas très reluisants d'un certain monde de mandarins! Et ce dernier twist fondé sur la vengeance à long terme n'est pas fait pour nous déplaire! Encore une belle réussite à mettre à l'actif de cet auteur bien connu dans les salons sous le pseudo " lumineux" ( il me comprendra!) de Dr K.
Paris, le samedi 24 février 2018 – Le journaliste et le véritable critique littéraire sont des espèces en parfaite contradiction. Le premier est au service de lui-même et ne va rechercher dans le texte que des références faciles qui lui permettront de créer des émotions directes chez ses lecteurs. Le second est au service du texte et s’attèle opiniâtrement à en découvrir ce qui n’affleure pas nécessairement lors d’une lecture brute et sans âme.
Un indice déjà dans le JIM !
L’un des premiers travers du journaliste (qu’il partage néanmoins avec de nombreux autres hominidés) est son orgueil. Il adore avoir raison avant les autres ; avoir su détecter quelque chose qui éclatera demain à la face du monde. Ainsi, interrogions-nous en 2013 le docteur Olivier Kourilsky, auteur de nombreux polars de plus en plus appréciés par les amateurs du genre, et nous évoquions les liens entre la néphrologie, sa spécialité, et l’enquête policière. Le praticien nous répondait : « L’exercice de la médecine en général a des points communs avec une enquête policière… La recherche d’indices, l’interrogatoire (parfois qualifié dans les "questions" de "policier"), l’établissement d’un diagnostic relèvent d’une démarche très proche », nous confiait-il. Comment ne pas ressentir une certaine fierté de voir l’auteur reprendre cette idée dans les colonnes de son dernier opus Marche ou greffe. Quand l’héroïne, Sévérine Dombre, fait part de ses différentes déductions à son amant et ami policier Quentin Bartoldi, ce dernier la félicite : « - Tu aurais dû entrer dans la police (…). - Tu sais, le diagnostic médical, c’est souvent une enquête de police : recherche d’indices, confrontation des données ».
Transmission de convictions d’auteur à héroïne
L’un des seconds travers du journaliste (qu’il partage peut-être un peu moins avec les autres hominidés) est de ne pas pouvoir s’empêcher de rechercher des échos. Ainsi, ne peut-il pas lire un ouvrage sans vouloir retrouver la trace de l’auteur ou de ses opus précédents. Avec Marche ou greffe, la quête était facile. L’héroïne, Séverine Dombre est en effet néphrologue à l’instar du docteur Olivier Kourilsky. Si quasiment tous les ouvrages du praticien font des allusions à l’univers médical, si certains autres opus avaient pour héros des médecins et si la néphrologie s’était déjà invitée dans ses lignes (que l’on pense au professeur Banari dans Homicide post mortem), jamais probablement le miroir n’avait été aussi marqué (en dehors du sexe du personnage !). Les pages sur les critiques qu’ont dû essuyer les néphrologues, les réflexions sur les limites de la greffe de donneur vivant (en s’appuyant sur des anecdotes véritables) et les allusions à des pressions un peu trop cavalières de la part d’associations de patients, font clairement référence à des préoccupations récurrentes du praticien. N’enlevant rien à la force du polar, elles permettent au contraire d’offrir au docteur Séverine Dombre une véritable stature, celle d’un praticien qui ne se contente pas d’exécuter, mais qui exerce son métier avec une véritable conscience, ce qui n’est pas sans lien avec les difficultés auxquelles elle devra faire face. Ce n’est pas la première fois que l’expérience personnelle du docteur Kourilsky est utilisée avec justesse dans un de ses livres, le drame des IVG clandestines avait déjà été évoqué dans l’un de ses premiers romans.
L’incontournable Claude Chaudron
Outre les échos entre l’auteur et le personnage, on retrouve dans Marche ou greffe de nombreux liens avec les ouvrages précédents d’Olivier Kourilsky, ce qui en plus de ravir le journaliste en manque de facilités, séduira évidemment les amateurs du genre toujours friands de ce type de rappel. D’abord est présente l’équipe de policiers habituelle autour de Claude Chaudron, mélange habile d’efficacité, de fermeté, mais aussi de douceur et d’humanité, qui sait tirer de chacun de ses collaborateurs le meilleur en leur passant leur petit travers (notamment au dénommé Pivert !). En outre, ce qui n’est pas la première fois, Olivier Kourilsky nous offre une ballade sans artifice entre présent et passé ; échos intriqués et intrigants qui atteignent ici une maîtrise parfaite.
Petits cailloux
Mais si l’on accepte pour quelques instants de se défaire de ses lunettes grossissantes de journaliste et de se concentrer d’abord sur le texte, on découvre d’autres trésors. D’abord, et c’est l’essentiel sans doute pour un roman policier, l’intrigue tient en haleine. L’auteur sème, sans avoir l’air de rien, avec son écriture simple et légère à lire, de multiples indices qui demeurent parfaitement à l’esprit comme des aiguillons, telle l’ouverture du roman évoquant l’exécution par les Allemands pendant la guerre d’une vingtaine d’otages dans un village et dont un réchappe miraculeusement. Irrémédiablement, le lecteur demeure constamment tendu par le souvenir de cet épisode tout en découvrant une nouvelle fois intrigué une trame apparemment sans rapport : le harcèlement de plus en plus oppressant d’une néphrologue par un groupe de mafieux albanais afin qu’elle procède à une greffe de rein (à partir d’un donneur vivant miraculeusement trouvé) sur leur patron muet et très mal en point.
Femme libre et complexe
Si l’on retient son souffle, c’est également grâce aux personnages. Si le groupe de mafieux albanais relève volontairement de la caricature de bande dessinée (avec notamment les deux mastards gardes du corps quasiment indissociables, hormis la couleur de leurs yeux ce qui leur vaut par Séverine Dombre in petto les surnoms de Dark Ice et Black Ice), si certains policiers se plaisent à répondre aux clichés du genre (comme le machisme de Pivert), Séverine Dombre offre une belle complexité. Réussissant l’exploit (mais ce n’est pas la première fois) de se glisser dans la peau d’une femme (même si le roman n’est pas à la première personne et que ce n’est pas toujours son point de vue qui est privilégié c’est principalement avec elle qu’on vit l’histoire) et révélant à cet égard une véritable âme féministe, Olivier Kourilsky dessine un personnage qui fait naître un attachement progressif chez le lecteur. Si l’on n’est pas immédiatement attendri par celle qui après avoir connu une enfance sans affection préférera, masquant ses fêlures intérieures, se détacher de son fils pour se consacrer à sa carrière, on ne peut en effet que vibrer avec elle quand on devine cette femme libre à la fois démolie et plus puissante que jamais face aux épreuves qui lui font prendre conscience de la force du lien maternel. Sur ce point encore, on ne s’en tient pas uniquement à l’instinct, mais également à l’importance de la découverte d’un fil commun entre deux êtres.
Ainsi, l’enquête policière fait-elle écho à une intrigue psychologique qui donne à ce neuvième roman d’Olivier Kourilsky une épaisseur semblable au plaisir qui nous tient ferré pendant la lecture.
médecin chef du service de néphrologie dialyse au centre hospitalier sud francilien de 1982 à 2009, j'écris des romans policiers médicaux ( 12 parutions depuis 2005 dont un livre "témoignage" sur la médecine)